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Tannabelle et ses grumeaux
   
"Livre-lui tes pensées. Des pensées que tu ne dis pas, ce sont des pensées qui pèsent, qui s'incrustent, qui t'alourdissent, qui t'immobilisent, qui prennent la place des idées neuves et qui te pourrissent. Tu vas devenir une décharge à vieilles pensées qui puent si tu ne parles pas."
Oscar et la dame rose - Éric-Emmanuel Schmitt
   
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5 mars 2015

Si c'était à refaire

Ce n'est pas ce billet - exception faite des trois courts billets publiés récemment - que j'aurais voulu publier en premier après la naissance de Hector. Mais il faut que je me libère de ce qui me torture en ce moment, pour pouvoir me consacrer, plus tard, avec la légèreté et la joie qu'il mérite, au récit de sa naissance.

 

Je ne sais pas ce qu'il adviendra de ce blog.
Je ne sais pas combien de temps encore j'aurai des choses à lui confier.
Je ne sais pas s'il deviendra un jour plus qu'un blog.
Je ne sais pas s'il passera, d'une façon ou d'une autre, à la postérité familiale.
Je ne sais pas si Gaspard et Hector le liront un jour. Le cas échéant, je ne sais pas ce qu'ils penseront de ce blog et de ce que j'y raconte. J'espère que la relation que je construirai avec chacun d'entre eux d'ici là saura modérer le ressentiment ou l'incompréhension qui pourraient les saisir à la lecture de certains billets.
Car je me suis promis l'honnêteté, quel que soit "mon lectorat".

Et l'honnêteté est douloureuse en ce moment.

La vérité, c'est que ce n'est pas Hector que je voulais bercer. Ce n'est pas Hector qui devait être le deuxième bébé à la maison. Peut-être qu'inconsciemment, je m'attendais à avoir Élise dans les bras alors la déception est rude. Ce n'est pas Hector qui me déçoit ; je me déçois moi-même parce que je me suis trompée, dupée moi-même - volontairement ou non, consciemment ou non.
D'ailleurs, l'ambiguïté entre le français et l'anglais sur ce point est troublante : on pourrait croire que "déception" se traduit par "deception", alors que ce terme signifie en réalité "tromperie". La déception et la tromperie ne sont donc pas si éloignées...

Je suis sur pilote automatique avec Hector. Certes, je l'allaite, je le porte, je le change, je le câline, mais tous mes gestes envers lui sont comme vides. Vides de sens, vides d'amour. Je ne ressens pas l'affection que j'ai immédiatement ressentie pour Élise et Gaspard, je n'éprouve pas cet élan d'amour envers lui. Je suis comme anesthésiée, mon coeur est sec alors que mes yeux sont si humides.

J'ai l'impression que c'était plus facile avec Gaspard alors même que nous étions en pleine tempête, emportés dans ce tourbillon d'émotions contradictoires et tellement intenses. Je pensais que le fait que Gaspard soit le jumeau de notre enfant décédée nous épargnerait un peu lorsque l'enfant d'après arriverait. Je répétais que Gaspard était la fois le bébé d'en même temps et le bébé d'après. C'est faux, je me trompais. Gaspard n'est que le bébé d'en même temps et Hector est pleinement le bébé d'après, avec tout ce que cela implique, même (surtout ?) si cet "après" entre Élise et lui a été court.

Je me souviens de ce billet, où je croyais que la présence de Hector parmi nous serait une évidence, malgré les hauts et les bas que je vivais pendant sa grossesse. Ce n'est pas le cas. Sa présence n'a rien d'une évidence, le lien que je dois construire avec lui n'a rien d'une évidence. J'ai l'impression que tout est à (re)bâtir, même les fondations qui étaient déjà présentes avec son frère et sa sœur.

Ce genre d'aveu n'est pas facile.
Pas facile à se faire à soi-même, d'abord.
Pas facile à faire au père de ses enfants, non plus. Alors que mon mari et moi avons pour habitude de communiquer, surtout depuis Élise, surtout lorsqu'il s'agit de nos enfants, il m'a fallu plusieurs jours pour oser lui en parler, au détour d'un simple "Je vais reprendre rendez-vous avec la psychologue."
Pas facile à faire aux autres.
Car ces mauvais sentiments, voire cette absence de sentiments, me culpabilisent, évidemment. Comment une mère peut-elle ressentir un tel vide face à son enfant qui vient de naître ? Quelle injustice pour ce petit bout qui ne demande qu'à être aimé et rassuré !
Sans parler de la culpabilité qui m'envahit quand je pense à ces parents que je connais et qui n'ont pas (encore ?) eu la chance de vivre une grossesse heureuse depuis le décès de leur(s) enfant(s).
Et sans parler de l'envie que j'éprouve envers ces autres parents qui ont semblé sincèrement n'être qu'heureux lorsque "l'enfant d'après" est arrivé dans leur vie.

Certains doivent sourire à demi-lèvres : ils nous l'avaient dit, ils ont essayé de nous prévenir, ils ont tenté de nous mettre en garde. Car, aussi honteux et douloureux que cela puisse être, j'en viens à avoir des regrets : nous n'aurions pas dû refaire un enfant si vite. Si vite après Gaspard, si vite après Élise.

Si c'était à refaire, je ne sais pas si je le referais.
Pire : si c'était à refaire, je crois que je ne le referais pas.

Réflexion

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Commentaires
4
J'ai beaucoup pleuré en parcourant ton blog ce matin. Parce que je comprends beaucoup de choses qui y sont écrites pour les avoir vécues en partie. Peut-être que j'aurais eu du mal avec Eliott arrivé juste derrière Céleste, que je n'aurais pas su comment lui trouver une place. Mais si tu me lis, tu sais que ma fille ainée a déclaré un cancer 1 mois 1/2 après la naissance d'Eliott; et pour nous cela a tout changé. Avec toutes les épreuves que nous avons traversées, Eliott a pris toute sa place de rainbow baby. Il est notre petit bonbon du quotidien, notre petit bonheur (avec toutes les difficultés d'avoir un petit bébé dans ces circonstances). Ma fille est très proche de lui et il a été un peu comme notre bouée à tous ces derniers mois. Ce bébé qu'on prend le temps de savourer au jour le jour. Ce n'est pas simple de se dire qu'il est là parce que son frère d'avant n'a pas vécu. Et à la fois je le vois comme un cadeau finalement que l'on a eu la chance d'avoir. Après, quelle que soit la situation et quels que soient les "antécédents", ce n'est parfois pas simple d'accueillir un enfant.
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C
Bonjour, <br /> <br /> Je te remercie pour ton article, pour sa grande sincérité. Il m'a émue, profondément.<br /> <br /> Parce que ce n'est pas facile à vivre, encore moins à s'avouer ce genre de pensées, et quant à les écrire...<br /> <br /> Parce que témoigner, c'est montrer aussi tout ton amour et tes préoccupations pour ton petit garçon. C'est permettre aux parents vivant des situations comparables de reconnaître la douleur, la tristesse et les regrets qui sont peut-être les leurs, aussi.<br /> <br /> C'est important, vraiment.<br /> <br /> J'ai perdu une petite fille en 2011, j'étais enceinte 6 mois plus tard (dès que j'ai eu le feu vert du médecin, en fait)<br /> <br /> J'ai mal vécu cette grossesse, dont je ne garde pas de souvenir. Pas de souvenirs non plus des jours qui ont suivi l'accouchement. Il est arrivé que je me rende compte en parlant avec les gens qu'ils étaient venus nous voir, sans que j'en garde aucun souvenir.<br /> <br /> Je me suis bien occupée de mon petit garçon, je l'ai aimé "de principe", de manière très fusionnelle, mais sans sentir cet élan dont tu parles si bien.<br /> <br /> C'est venu, avec le temps. 6 mois au moins avant que je me sente légitime, naturelle, sans distance. Chez certaines de mes amies, ça a été plus long.<br /> <br /> La psy a aidé, on a avancé.<br /> <br /> Aujourd'hui, il a 2 ans et demi, il va bien, j'ai une relation et une complicité très fortes avec lui.<br /> <br /> Je suis bénévole écoutante en deuil périnatal, maintenant et, moi aussi, je conseille aux parents de faire ce que je n'ai pas fait, d'attendre avant une nouvelle grossesse.<br /> <br /> Certainement, j'aurais dû attendre, ne pas être dans cet état second, ce traumatisme, cette obsession d'avoir un autre enfant, vivant.<br /> <br /> Oui. <br /> <br /> Mais à l'époque, avoir un autre enfant était la seule chose qui me maintenait debout. Pas pour remplacer, mais parce que j'avais besoin d'espoir, de croire de nouveau en la vie.<br /> <br /> Alors j'aurais dû, mais je n'ai pas pu.<br /> <br /> Et finalement, dans la vie, on fait comme on peut, du mieux qu'on peut.<br /> <br /> Tu t'occupes de ton petit bonhomme du mieux que tu peux, tu as ton histoire, lui la sienne, vous allez construire votre relation ainsi. Dans quelques temps, avec un peu de temps, de la bienveillance envers toi, peut-être de l'aide, ce petit garçon avec sa place à part aura trouvé le chemin de ton cœur. Et peut-être que tu ne penseras plus à "si c'était à refaire". <br /> <br /> Parce que si on faisait tout très rationnellement, tout très bien, plein de belles choses, de beaux moments, de belles personnes n'existeraient pas dans nos vies...<br /> <br /> Prends soin de toi, de tes petits loups.<br /> <br /> Je t'envoie plein de douceur, et des baisers volants à Elise <3
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J
Je voulais me relancer dans l'aventure sitôt le décès d'Ella prononcé, comme pour me prouver à moi-même que je pouvais faire un enfant en bonne santé. Mon chéri a vu les choses autrement et j'ai mis mon envie de côté. Aujourd'hui, je sais que j'aurais fait cet enfant pour de mauvaises raisons mais peu importe. Aujourd'hui, vous avez ce petit bonhomme qui est en pleine forme et qui va faire sa place, tout doucement, dans cette famille "à part". Oui, avoir un enfant décédé, c'est quand même avoir un enfant... Et être cet enfant d'après, ce n'est pas facile ! PS : Félicitations pour ce petit bout !!
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A
Je comprends ce que tu expliques, pas dans les mêmes circonstances, 'mais je l'ai vécu avec mon fils aîné, pressé d'arriver, né à 7 mois. Moi qui voulait tant être mère, je ne me suis pas senti'maman. Je faisais tt ce qu'il y avait à faire, mais sans cet élan que je pensais avoir, devoir avoir. Et puis petit à petit c'est venu, l'air de rien. Il en sera de même pour Hector. Votre histoire est spéciale, votre relation en sera enrichie. <br /> <br /> Je t'embrasse
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P
Je tenais à vous adresser un commentaire, mais j'ai beau écrire, effacer, réécrire, encore effacer... je ne trouve pas les formules adéquates...<br /> <br /> Je vous adresse tout mon soutien. Je comprends votre sentiment de culpabilité, je suis certain que je l'aurais aussi à votre place. Mais il n'a pas de raison d'être, très sincèrement. Je vous souhaite beaucoup de force et de courage.
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