Chaussons et claquettes
Pendant le repas de ce soir, Gaspard, assis à côté de son papa, a tripoté le bracelet que je lui ai offert pour Noël 2015 : le bracelet dont le médaillon porte sur une face les empreintes de pied de Gaspard et sur l'autre, celles d'Élise. Il a alors demandé à voir de plus près les deux faces et, lorsqu'il a été question des empreintes d'Élise, mon mari a fait remarquer à Gaspard que c'étaient les mêmes empreintes que sur la couverture du "livre d'Élise", placé à l'étage d'Élise dans la bibliothèque du salon, visible depuis la table où nous prenons nos repas.
Un peu trop loin de la bibliothèque à son goût, Gaspard a affirmé ne pas bien voir. Mon mari est donc allé chercher le livre en question et s'est assis dans le canapé, où l'a rejoint Gaspard. Ils ont alors parcouru toutes les pages ensemble.
Et nous avons de nouveau eu le droit de voir Élise – et leur naissance à tous les deux – à travers ses yeux d'enfant.
Sur un gros plan en couleur de son visage : "Oh, elle a quoi, là ?!"
Sur une photo de lui et elle avec moi : "C'est qui, là ?"
Sur une autre photo : "Il est où, Hector ?"
Mais la photo qui a retenu son attention le plus longtemps est l'une de celles où l'on voit Élise dans son cercueil, entourée notamment de sa grenouille, tricotée par ma mère, et des petits chaussons que je lui avais tricotés.
Gaspard a reconnu la grenouille, puisqu'il a la même mais avec les couleurs inversées et puisque j'ai exactement la même qu'Élise (avec laquelle je dors CHAQUE soir, où que je sois).
Voyant les minuscules chaussons en question, il a demandé ce que c'était, sans faire de commentaire sur le coup... jusqu'à ce qu'il nous sorte : "Élise, elle a que sa grenouille et ses chaussons. Mais nous (en parlant de Hector et lui), on a des caqulettes*."
Cette phrase, par sa simplicité et son réalisme, m'a transpercé le coeur. En effet, mon Crapaud, c'est là toute la différence : vous, vous avez des claquettes mais Élise n'en aura jamais.
*ces caqulettes sont en fait des claquettes : vous savez, les petites sandales en pseudo-mousse rigide pour la plage
Ce que j'ai aimé dans la séquence émotion de ce soir, c'est son égocentrisme et son étonnement sans filtre d'enfant.
Ce que j'ai moins aimé, c'est de me sentir, une fois de plus, prise au dépourvu par ce genre de moment, que j'attends pourtant autant que je redoute.
Et puis ce que j'ai moins aimé aussi, c'est me rendre compte que Hector et Élise sont pour ainsi dire étrangers l'un à l'autre.
Par rapport à Gaspard, leur gémellité implique de fait un lien entre eux - un lien particulier, qui plus est.
Mais qu'est-ce qui relie Élise à Hector ? Ils n'ont pas existé dans la même vie, dans le même espace-temps. Il n'y a aucun souvenir en commun, rien de tangible entre eux, rien sur quoi construire un imaginaire, fantasmer une relation.
À partir de là, est-ce que Hector verra Élise comme sa sœur ?
Cette question, qui m'a sauté à la figure ce soir, m'a fait penser à ce que m'avait rapporté une maman de jumeau esseulé qui a eu une petite fille après ses jumeaux. Et lorsque la petite sœur, qui n'avait donc pas connu le jumeau décédé, parlait de lui à son frère, elle disait "ton frère" et non "mon frère" ou "notre frère".
Qu'est-ce qu'elle est, Élise, pour nous ? Pour Gaspard ? Pour Hector ?
Un fantôme ? Une idée ? Une chimère ?
Un de plus
Ce matin, après l'inscription en mairie il y a quelques semaines, je suis allée inscrire Gaspard à l'école directement.
Rencontre avec la directrice tout ce qu'il y a de plus classique : "Bonjour-Madame-Bonjour-Gaspard-Tu-es-content-d-aller-à-l-école-?" et blablabla.
Arrive ensuite la question fatidique :
- Il a des frères et sœurs ?
- Une sœur jumelle décédée et un petit frère.
Et elle de noter, sous mes yeux, sur sa fiche d'inscription – seulement, uniquement, exclusivement : "Un petit frère".
Mais p*****, je viens de te dire qu'il avait AUSSI une sœur ! Jumelle, qui plus est. Décédée, certes. Mais une sœur quand même.
Et si je t'en parle - devant lui a fortiori – tu aurais peut-être pu comprendre :
- que sa sœur existe pour nous,
- que sa sœur existe pour lui,
- que ce n'est pas un tabou pour nous,
- que ce n'est pas un tabou pour lui,
- que c'est important pour nous qu'elle soit reconnue.
Mais non, on est dans le "bête et discipliné", dans l'administratif, dans le "ça rentre pas dans les cases" alors on élude et on fait semblant de rien. C'est plus simple pour tout le monde. Pour tout le monde sauf pour nous.
Et un petit tour de couteau supplémentaire dans la plaie béante de mon cœur...
Bientôt
Avant-hier, c'étaient les 3 ans du blog... et je n'ai même pas le temps de les fêter comme il se doit !
(Je n'avais déjà pas tenu la promesse que j'avais faite pour ses 2 ans : refaire un bilan statistique complet ! Honte sur moi !)
Mais...
Bientôt, je transformerai mes pensées en billets.
Bientôt, je viderai les tiroirs poussiéreux de mon blog.
Bientôt, je répondrai aux messages qui traînent dans la boîte-aux-lettres du blog depuis des jours, des semaines, des mois (mais pas encore des années, mauvaises langues !).
Bientôt, je vous dirai où j'en suis.
Bientôt, je vous raconterai ce qui a changé - ou pas - dans ma vie ces derniers mois.
Bientôt, je ne serai plus débordée professionnellement !
... dans cinq minutes... ou un peu plus ! :-)