Aujourd'hui, Gaspard a fait sa rentrée à la crèche. Bon, disons simplement qu'il a commencé la période d'adaptation qui durera deux semaines. Je ne suis pas spécialement inquiète. J'ai confiance dans la crèche et, pour être honnête, je suis impatiente de ne plus être qu'une maman. Bien sûr, je n'en mènerai sûrement pas large la première fois que Gaspard fera une journée complète à la crèche ou le jour de ma reprise mais le retour au travail, même pour quelques semaines, me fera le plus grand bien (toutes considérations sur mon patron mises à part, évidemment !).
Alors aujourd'hui, comme beaucoup de parents je suppose, j'ai pleuré.
Pas parce que Gaspard a fait sa rentrée à la crèche.
Parce qu'Élise n'a pas fait sa rentrée à la crèche. Parce qu'Élise ne fera jamais sa rentrée à la crèche, ni aucune autre rentrée.
Ce billet traîne depuis des semaines parmi les brouillons et aurait pu être complété encore longtemps avant d'être dévoilé. Mais je me suis dit qu'aujourd'hui, en tant qu'étape importante dans la vie de Gaspard, était le bon jour pour le publier.
Et après, on osera encore nous dire que "tout ça, c'est derrière nous"... Vous croyez que ça me, que ça nous (a) fait quoi, tout ça ?
- Jouer uniquement avec Gaspard
- Ne faire découvrir les joies de la piscine qu'à Gaspard
- Choisir des vêtements uniquement pour Gaspard
- Passer devant les rayons destinés aux petites filles sans pouvoir m'y arrêter
- Tomber, dans le magasin où nous l'avons acheté, sur le body qu'Élise porte, là où elle est - le seul body qu'elle portera jamais
- Entendre parler de notre deuxième enfant à venir
- Faire ma première sortie "loisir" avec Gaspard uniquement
- Dormir dans la chambre que l'un des grumeaux aurait occupée s'ils avaient été là tous les deux
- Mettre à jour notre demande de place en crèche pour un enfant, et non plus deux
- Ne réfléchir que par rapport aux grumeaux et par rapport à la grossesse quand j'entends parler d'évènements survenus en 2013 : "tout allait encore bien", "on savait déjà", "elle n'était plus là"
- Enfiler à Gaspard sa première paire de Converse, celle qui figurait sur notre faire-part de grossesse, à côté des nôtres et surtout de celle destinée à Élise
- Croiser une poussette double
- Entendre parler d'une Élise
- Accrocher le linge dans le jardin avec les épingles à linge que l'on avait utilisées pour notre faire-part de grossesse
- Constater que la date de péremption de la barquette de margarine est le 24 mai
- Enfiler le bonnet rayé à Gaspard, le même que porte Élise
- Retaper le lit qui aurait dû être celui d'Élise
- Aller sur la tombe d'Élise avec Gaspard dans les bras
- Croiser une Élise
- Imaginer conduire Gaspard à la mairie le jour de son mariage sans pouvoir imaginer mon mari en faire de même avec Élise
- Regarder des parents rhabiller leurs jumeaux - fille et garçon, qui plus est - en attendant notre tour chez le pédiatre
- Voir, dans un film, des roses blanches tomber sur le cercueil d'un enfant
- Passer près de Pleucadeuc pendant nos vacances en Bretagne
- ...
Cette liste est aussi décousue qu'incomplète. Elle aurait pu s'allonger indéfiniment car c'est tous les jours, dans tout ce que je fais avec/par rapport à/pour Gaspard, dans tout ce que Gaspard découvre, qu'Élise me manque.
Cette absurdité d'un jumeau sans sa jumelle, c'est comme un miroir sans reflet, c'est comme deux lignes parallèles mais dont l'une s'est arrêtée beaucoup plus tôt que l'autre, beaucoup trop tôt.
Je raisonne encore souvent avec des phrases du genre "C'est la première fois que (...) depuis que (...)" ou "La dernière fois que (...), c'était (...)", où les (...) font évidemment référence à la grossesse et au début de l'histoire des grumeaux. Mais il me faudra encore du temps avant d'arrêter avec tous ces "Nous aurions dû/devrions être", "Elle devrait être/aurait dû", "Ils auraient dû/devraient être". Ce qui est certain, c'est que ce n'est pas ce mois-ci, mois de leur premier anniversaire, que j'y arriverai.